Lundi, 4 septembre 2000
Tradition

En bon père, je dois maintenant te parler des traditions. Chaque famille a les siennes. Et dans celle où tu atterriras bientôt, il y en a une selon laquelle le week-end de la Fête du travail doit être passé en camping relativement sauvage. On bourre le coffre arrière de la voiture à la manière de la boîte à lunch de Fred Caillou et on se lance avec des dizaines de milliers d'autres automobilistes à la recherche de notre petit coin de nature. Cette année, nous avons roulé plus de six heures dans une circulation de mélasse pour nous rendre au nord de Mont-Laurier, dans un endroit appelé «La Bourgade». Ton frère, ta mère et moi avons dormi dans un authentique tipi sioux sur un authentique futon japonais.

Les traditions ont toutes une justification. La nôtre est la suivante: normalement, il n'y a plus de moustiques ni de mouches noires ni de brûlots au début septembre. Eh bien tu naîtras, petit enfant, dans un monde où le mot «normal» a perdu tout son sens. Ainsi, le contraste entre ce week-end et le même week-end l'année précédente est frappant. L'année dernière, au Lac Monroe, le temps avait été chaud et sec, bien que les feuilles mortes tapissaient déjà le sous-bois. Nous avions même pu nous baigner! En septembre! Cette année, ce fut l'inverse. Humidité et froid ont joint leurs forces pour nous transpercer les os et nous réveiller les rhumatismes. Mais toutes les feuilles avaient gardé leur vert d'été. Je pense que tu vas arriver avec les couleurs de l'automne. Ça veut sans doute dire que tu seras un(e) grand(e) romantique! :-)

La photo ci-contre qui ressemble à celle d'un puits de pétrole du Koweït après la Guerre du Golfe montre ce qui arrive quand on n'entretient pas correctement son poële Coleman. Ça aussi, c'est une tradition que tu aimeras, la bouffe de papa et de maman en plein air. Quand le Coleman fonctionne. Heureusement, il y avait une cuisinière au gaz au centre de la bourgade. En fin de compte, la bouffe était meilleure!

Durant le week-end, j'ai voulu prendre des photos de ton grand frère. Mais il déteste ça. Alors il fuyait. J'avais l'impression d'être un chasseur traquant sa proie. Dans ce véritable safari photo, j'ai réussi quelques clichés. Mais ils sont le plus souvent comme celui-ci. Une ombre qui bondit. Un jour, ce sera lui qui voudra te prendre en photo. Tu fuiras aussi et il comprendra peut-être à quel point c'est frustrant de voir son sujet détaler comme un chevreuil.