12 novembre 1995
Départ de Montréal
Où le stagiaire fait connaissance avec ses camarades
et fait la rencontre d'un pdg millionnaire





Après un automne agréable, qui était en fait un prolongement de l'été (chose rare et appréciée au Québec), l'hiver nous est violemment tombé dessus ce matin. Une gigantesque dépression atmosphérique survole la Belle province.

Il neige!
Déjà!
Oh! Pas beaucoup. Sauf que les cols bleus (ouvriers de la voirie) de la Ville de Montréal font la grève du zèle. Ils ne travaillent pas les week-ends. Et pour cette première bordée de quelques centimètres, les Montréalais sont laissés à eux-mêmes et aux techniques de déneigement de nos aïeux: la pelle.
Il ne fait pas trop froid. Le mercure est tout juste en-dessous du point de congélation, ce qui fait que sur les rues, la circulation change la neige en gadoue, qui gèle quand le flot des véhicules s'interromp. La trame urbaine est transformée en gigantesque patinoire. La conduite est périlleuse et sur le chemin de l'aéroport, j'ai vu maintes voitures dans le décor.




La rue Molson (un peu comme si une rue de Bruxelles s'appelait "Rue Jupiler"), le matin de notre départ.

C'est à l'aéroport Mirabel que nous faisons tous connaissance. Nous déplaçons quelques sièges dans la salle d'attente, vide, pour former une salle de réunion virtuelle et, sous la gouverne de Jean-Marc (que nous appelons encore «monsieur Urbain»), nous récitons tous le petit laïus de présentation que nous répéterons plusieurs fois en Belgique. J'ai si hâte de partir que je n'écoute que distraitement les autres et j'ai déjà oublié leurs noms quand vient le temps d'embarquer dans le jumbo jet de KLM (vol 672) qui nous fera traverser l'Atlantique.

Fait cocasse de la journée

Dans la file d'attente pour l'embarquement, je tombe nez à nez avec Daniel Langlois, président de Softimage, société montréalaise spécialisée dans l'imagerie numérique qui a été rachetée par le géant Microsoft en février 1994. Softimage est devenue célèbre après que son logiciel ait été utilisé pour produire les effets spéciaux de films comme Jurassic Park ou Death Becomes Her. Ils ont aussi fait les fantômes de Casper, les bêtes de Jumanji et les insectes du dernier bijou de Jeunet et Caro, La cité des enfants perdus.
Langlois, que je voyais d'abord comme une espèce de Bill Gates québécois, requin financier et tout (le magazine Canada Business l'a d'ailleurs élu «businessman of the year»), m'est apparu beaucoup plus sympathique lors de la présentation qu'il a faite au Symposium international sur les arts électroniques (ISEA 95, à Montréal), en septembre dernier. Langlois racontait comment il était d'abord un artiste et que ce qui l'intéressait, c'était de concevoir des outils pour permettre à d'autres artistes de créer. Il parlait franchement et il a même avoué que la technologie qu'il avait mis au point lui faisait un peu peur. De la même façon qu'un logiciel de traitement de l'image comme Photoshop peut transformer la réalité telle que nous la présentent des photos (noircir O.J. Simpson, par exemple), le logiciel Softimage a le potentiel de transformer la réalité telle que nous la présentent les films et la vidéo; et dans ce sens, vu le rôle capital que joue aujourd'hui la télévision, le potentiel de manipulation de la réalité à des fins pas toujours nettes est multiplié.
Bref, je tombe sur Langlois à Mirabel et je lui indique que j'aimerais bien faire une entrevue avec lui pour le magazine Wired (eh oui, j'ai commencé à collaborer avec eux, because I studied journalism in English, you know). Il est intéressé et me dit de lui communiquer par e-mail. Fin décembre 95, je discute encore avec lui afin de raffiner un premier «pitch» que j'ai lancé au magazine san franciscain.



Puis, nous nous sommes envolés sans problèmes, malgré la glace. Il était rigolo de pouvoir suivre notre progression grâce à des moniteurs savamment suspendus au-dessus des allées. Un petit icône d'avion se déplaçait progressivement sur l'écran. Tiens, nous survolons Trois-Rivières.

Les huit heures que nous avons mis à traverser l'océan à rebours du cadran nous ont servi de nuit (très virtuelle!). L'avion était heureusement peu rempli. J'ai pu dormir, allongé sur les quatre sièges du milieu de ma rangée, avec du Massive Attack, du Prodigy et du Orbital full blast dans les oreilles. Quand je me suis endormi, nous n'étions pas encore tout à fait à la hauteur du pays de Björk.


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©1996 Jean-Hugues Roy (hugo@reporters.net)