lundi, 20 novembre 1995
Namur, jour 1
Où notre stagiaire, séduit par la capitale wallonne, tâte de la radio et de la vidéo




Vraiment, plus ça va, plus l'auberge de Namur se démarque du CHAB. Il y a du Nutella gratos sur les tables, pour déjeuner! Comme dirait Gotlib (désolés s'il n'est pas Belge celui-là): «Râââh! Lovely!»


Vue aérienne du CIGER

Ce matin, direction Parc industriel de Rhisnes, à l'extérieur de Namur, aux locaux aérés du CIGER, une des plus vieilles sociétés d'informatique de Belgique puisqu'elle a été fondée en 1968 (plus vieux que bien des membres du groupe!).

M. Henri Celeghin, analyste informatique et géographe, nous présente l'entreprise: 105 employés, 550 millions de chiffre d'affaires (26 millions de dollars). Le CIGER fournit des systèmes informatiques pour les institutions. Trois provinces de la région francophone (Brabant wallon, Namur et Luxembourg [les autres étant Liège et le Hainaut]) et 145 des 250 communes de Wallonie sont équipés de systèmes informatiques (paie, fiscalité, gestion de l'état civil, police, etc.) conçus par le CIGER.

L'État a-t-il peur du Freenet?

Confortablement installé dans son marché, pépère, le CIGER aurait pu en rester là.
Eh bien non, signale M. Celeghin, qui a une vision très arrêtée et bien articulée de l'avenir. «Nous voulons soutenir le déploiement d'une infrastructure en technologies de l'information et de la communication dans le Namurois». Traduction: c'est le CIGER qui va se charger du volet technique du «Réseau urbain» (genre Freenet) dont M. Arnould nous parlait hier soir chez NEW.
M. Celeghin voit dans ce Réseau à venir un nouveau terroir économique qui permettra à une région économiquement déprimée de sortir de la crise: «Dans le Namurois, a-t-il plaidé, il n'y a pas de minerai de fer, pas de centrale hydro-électrique, pas de valeur, au fond, si ce n'est ce que nous avons chacun dans la tête.» Pour exploiter cette matière première grise, l'État devra investir, croit M. Celeghin: «En France, ils ont donné le Minitel. Ici, il faudra faire pareil.» Le gouvernement récupérera sa mise de départ en taxes et impôts sur les nouveaux produits et services qui circuleront sur cette inforoute future.

C'est au niveau des contenus à offrir sur ce Freenet que la vision du CIGER est moins nette. On pense en offrir trois:


C'est avec tout ce beau monde que nous avons ensuite dîné, dans une salle avec des baies vitrées sur tous les côtés, offrant une vue splendide sur la campagne wallonne environnante. Nous avons même vu quelques rayons de soleil percer l'épaisse couche de nuages qui enveloppe le pays depuis que nous sommes arrivés.

Tel père, telle fille

Béatrice van Bastelaer, maîtresse d'oeuvre de notre séjour à Namur.

Prochaine étape, à 14h, le premier d'une série de quatre séminaires organisés par Béatrice van Bastelaer, chargée de recherche à la Cellule interfacultaire de technology assessment (CITA). Sujet: les aspects techniques des autoroutes de l'information.

Plusieurs dizaines de personnes étaient réunies dans une salle de classe de l'Institut d'informatique des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, rue Grangagnage, pour écouter MM. Philippe van Bastelaer (de l'Institut d'informatique), Martin De Prycker (d'Alcatel Bell Anvers), Michel Lefort (d'Electrabel - un des principaux câblo-distributeurs belges) et Ronny David (de Belgacom).

Voici, à droite, une synthèse de débats, préparée par Claire Lobet-Maris en collaboration avec Véronique Henrotte, et telle que me l'a fait parvenir Béa par e-mail. À gauche, vous trouverez mes notes, en plus petit.






Séminaire sur les aspects techniques du développement des autoroutes de l'information en Belgique
20 novembre 1995

Papa a raison

C'est le papa de Béatrice, Philippe van Bastelaer, qui a commencé le séminaire. Son exposé a éclairci bien des choses dans ma tête.
J'entendais souvent parler de la guerre entre compagnies de câble et compagnies de téléphone pour le contrôle des inforoutes à venir, mais n'avais jamais saisi les différences de fond entre les deux technologies.

C'est finalement assez simple:

  • Le téléphone est multidirectionnel, c'est-à-dire qu'il permet à plusieurs usagers de se brancher à son réseau et d'échanger des données dans plusieurs directions à la fois.
  • Le câble est unidirectionnel, c'est-à-dire que s'il permet à plusieurs usagers de se brancher à son réseau, les données n'y circulent pas dans toutes les directions, mais d'un point émetteur vers tous les récepteurs du réseau, un peu comme une rivière qui coulerait à l'envers, de son embouchure jusqu'aux diverses sources de son bassin.

  • En conséquence, le téléphone permet aux branchés de recevoir de l'information, mais aussi d'en émettre; c'est l'interactivité
  • De son côté, le câble ne permet aux câblés que de recevoir de l'information, sans pouvoir en émettre; il n'est pas interactif. Certaines entreprises de câble ont bidirectionnalisé leur réseau. Il permet aux câblés d'émettre de l'information à leur tour sur le réseau, mais cette information ne rejoint pas les autres câblés, se contentant de retourner à la source émettrice.

  • Enfin, le téléphone ne dispose que d'une étroite bande passante. Ça va pour transmettre du texte. Mais les fichiers de son et - pire - de vidéo, mettent un temps fou à être transmis via les réseaux téléphoniques. La vidéoconférence, par exemple, est pratiquement impossible.
  • Le câble, lui, dispose d'une large bande passante, qui permet d'échanger texte, son et vidéo beaucoup plus rapidement. La vidéoconférence devient tout à fait possible.

En comprenant le contexte de la guerre des telcos contre les câblos, je réalise qu'en fait, un autre combat prend forme [voir plus bas].


Infrastructure : Deux scénarios technologiques?


Les exposés des intervenants ont privilégié deux scénarios en matière d'infrastructure pour les autoroutes de l'information : le scénario "télécommunication" basé sur le RNIS et le protocole ATM, et le scénario de la convergence entre télédistribution et télécommunication au centre duquel on retrouve les normes MPEG1 et MPEG2. Chacun de ces scénarios semble viser des services différents : des services professionnels destinés aux entreprises et aux administrations pour le scénario télécom, des services "grand public" pour le scénario de la convergence.

Ne faut-il pas ajouter à ces deux scénarios, celui des satellites, un scénario qui semble avancer à grands pas dans certains de nos pays voisins dont la France? La focalisation de l'attention sur les deux premiers scénarios et particulièrement sur le second apparaît hautement conditionné par notre existant : la Belgique est le pays le plus câblé au monde! Cette évacuation du scénario satellite semble résulter de deux facteurs : le premier, politique, réside dans le fait que le satellite apparaît comme une menace directe pour nos télédistributeurs qui entendent se défendre par une alliance stratégique avec le monde des télécoms; le second, technique, concerne les progrès qui doivent encore être faits en matière d'interactivité et qui, selon un des intervenants, prendront encore 4 à 5 ans alors que des expérimentations en matière d'interactivité sur le câble sont aujourd'hui techniquement possibles. Le scénario satellite est un scénario qui s'impose dans des pays pauvres en infrastructure, tel l'Inde. Ce n'est pas du tout le cas de la Belgique.

Ainsi, en Belgique, la focalisation actuelle sur le scénario de la convergence, comme un scénario plausible pour le court et le moyen terme, tient à l'existence du câble de télédistribution qui possède un triple avantage : le premier est d'être "déja là" et donc de limiter les investissements; le deuxième est d'être doté d'une grande bande passante; le troisième, enfin, d'être disponible dans chaque foyer. En matière de diffusion de l'innovation, surtout dans le "grand public", on souligne que la télévision est aujourd'hui dans chaque foyer et fait culturellement partie du quotidien de la population. Ce n'est pas le cas du micro-ordinateur qui, actuellement, selon les statistiques les plus optimistes, ne concernerait que 15% des foyers belges. Se servir de la télévision pour diffuser progressivement de nouveaux services sur le câble est une stratégie qui a des chances raisonnables de donner rapidement des résultats au niveau des services "grand public".

Cependant, on souligne que ce scénario ne répond encore techniquement que très imparfaitement aux exigences d'interactivité de certains services "grand public" telle la Vidéo à la Demande (Video On Demand - VOD) mais aussi - et surtout - de certains services professionnels destinés aux entreprises et aux administrations. Une telle exigence ne pourra être comblée que par un investissement majeur dans le RNIS large bande. Mais, à ce niveau, il existe une barrière financière qui ne pourra être levée que si et seulement si le marché des nouveaux services interactifs et commerciaux se développe et rapporte suffisamment pour justifier l'investissement. Une condition loin d'être réalisée à l'heure actuelle.

Cette solution hybride reposant sur la convergence des télécoms et de la télédistribution pourra-t-elle garantir à la Belgique une interopérabilité suffisante avec les autres réseaux européens? À ce niveau, les intervenants soulignent que la préoccupation majeure des promoteurs de ce scénario et de l'IBPT (Institut Belge des Postes et Télécommunications) est de garantir son ouverture et son interconnexion aux autres réseaux, garantie essentielle face à la libéralisation des infrastructures à l'horizon 1998.

Enfin, certains s'inquiètent de voir ce scénario de la convergence déboucher sur la création d'un nouveau monopole. À ce niveau, il semble plus raisonnable d'y voir une tentative de collaboration technologique difficile non seulement sur le plan technique mais aussi et surtout peut-être sur le plan institutionnel et juridique.


Réflexions sur l'avenir du Net

Le séminaire demandait: «Des autoroutes? Pourquoi faire?» Voici un résumé des notes que je prenais pendant que les quatre séminaristes débattaient.

Le grand avantage du Net par rapport au médium qui a défini ma génération, c'est-à-dire la télé, c'est qu'il me libère de la dictature de l'image. Il me transforme de couch potato téléphage en internaute actif, en citoyen participatif et en branché créatif.

Mais les pressions qu'exercent sur le réseau le World Wide Web et ses applications bande-passantivores comme HotJava, ShockWave, QuickTime VR, et le VRML à venir, ainsi que le CU-See-Mee et l'IRC en images, font que, de plus en plus, le Net ressemble à la télé. Il ne descendra jamais à son niveau, bien sûr, mais tous les signes actuels tendent dans cette direction.

Le combat que je vois se dessiner sur Internet va donc opposer les deux camps suivants: d'une part, les gens qui veulent qu'on économise la bande passante (de plus en plus rare au fur et à mesure que le nombre d'internautes croît) en la réservant à des applications plus simples et intellectuellement plus riches, comme les newsgroups, ou en limitant la complexité du web; d'autre part, ceux qui poussent très fort pour que le Net accomode la vidéoconférence, la vidéo sur demande, bref, les applications commercialement rentables.

D'aucuns, comme le créateur du Net lui-même, Vint Cerf (que j'ai rencontré cet automne), craignent que si on surcharge le réseau, il va s'effondrer sur lui-même. D'autres formes d'inforoutes lui succèderaient, évidemment. Mais alors, non seulement les intérêts commerciaux contrôleraient le contenu, mais ils contrôleraient également le contenant qui, sur Internet pour le moment, échappe à tout contrôle unique.

On a une chance unique au monde de laisser un moyen de communications public couvrir toute la surface du globe et, ultimement, rejoindre une majorité de l'humanité. Il ne faudrait pas que quelques vendeurs du temple viennent tout foutre en l'air.


Des autoroutes, pour quel besoin?

À trop se focaliser sur le moyen, c'est-à-dire l'infrastructure, on risque d'en perdre la finalité, c'est-à-dire les services. À ce niveau il importe de se demander si la focalisation actuelle des débats sur l'infrastructure n'est pas un peu comme l'arbre qui cache non pas la forêt mais le désert en matière d'imagination de nouveaux services répondant à de réels besoins de la population et justifiant les investissements technologiques en cours.

En effet, lorsque le débat aborde la question des besoins et des services, la fièvre et la passion qui avaient présidé à nos discussions sur l'infrastructure s'effritent progressivement pour se transformer en un mutisme gênant... L'exemple de la VOD maintes fois servi pour légitimer les investissements technologiques dans l'infrastructure ne résiste pas longtemps à l'évidence des faits : elle ne fera qu'offrir à un prix sans aucun doute supérieur un service dont on dispose déja grâce à la combinaison du magnétoscope et des vidéo-cassettes! De même l'échange d'imageries médicales entre hopitaux, si elle est nécessaire, va-t-elle se généraliser à ce point qu'on ne pourra faire l'économie d'une infrastructure interactive performante? Le déficit financier du secteur des soins de santé et la concurrence inter-hospitalière nous invitent à la plus grande prudence en ce domaine!

De telles réflexions font apparaître au grand jour le fait que les débats actuels autour des autoroutes de l'information semblent se faire sans les utilisateurs. Que sait-on à l'heure actuelle de ces utilisateurs, de leurs besoins en matière de communication et d'information? Il faut le reconnaître : pas grand chose!

Au vu de ce constat ne faut-il pas renverser la perspective actuelle qui consiste à accorder un privilège d'attention et de subvention aux médias plutôt qu'aux services? En d'autres termes, ne faut-il pas favoriser le développement d'expériences menées par des groupes d'utilisateurs sur les infrastructures existantes (le câble, Internet, le réseau téléphonique, etc...) afin que se dégage progressivement un vivier de pratiques et de services nouveaux qui pourra influencer les développements en matière d'infrastructure? C'est, semble-t-il, la voie dans laquelle se sont engagés le Québec mais aussi, plus près de nous, le Danemark, où des politiques sont très clairement menées pour favoriser les expériences et l'esprit d'entreprise dans le domaine des services multimédia. Ces politiques, loin des grands cadres dessinés par l'Union Européenne et certains gouvernements européens, laissent faire et venir les expériences et initiatives de communautés d'utilisateurs et de jeunes entrepreneurs afin que se développe un réel marché informationnel et communicationnel capable de supporter et justifier les investissements en matière d'infrastructure.

Le "technology push" doit céder le pas au "technology pull". Au 19ème siècle quand on a installé les grandes canalisations d'eau ou encore les réseaux de chemin de fer, on ne s'est pas demandé "pour quoi faire?". De même aujourd'hui doit-on veiller à faire progresser ensemble, dans une démarche intelligente et cohérente, les travaux et réflexions qui portent sur l'offre d'infrastructure et ceux orientés vers la demande et l'innovation dans les services.





Radio Daze


Après ces réflexions songées, j'étais invité, avec M. Henri Celeghin, du CIGER, à l'émission de fin d'après-midi de la station locale de la RTBF. Le sujet: l'Internet en général, la visite des Québécois au CIGER en particulier. Nous avons été en ondes une bonne heure, entre 17h et 18h, environ. Durant les pauses, l'animateur, Philippe Delmelle (photos ci-dessous), faisait tourner quelques pièces de la toute nouvelle anthologie des Beatles, sortie ce matin.
Delmelle connaît Internet. Mais il a insisté pour qu'on vulgarise l'affaire au max: «Il faut que la ménagère de Floriffoux [petit bled en amont de la Sambre] y comprenne quelque chose», disait-il. La discussion a été féconde.



Philippe Delmelle, animateur à la RTBF-Namur et internaute devant l'Éternel.


Une fois l'émission terminée, j'ai jasé un brin avec un technicien à la retraite de la station,
Claude Dantinne (photo ci-contre, dans les studios de la RTBF), qui a créé PRONAM, sa propre petite entreprise de consultation Internet et qui travaille notamment en collaboration avec le CIGER. Il m'a offert un tour guidé des diverses installations d'audio numérique qui feraient pâlir d'envie bien des antennes montréalaises.
Les sites web qu'a créé son entreprise, comme celui du
Bowling de Namur, laissent quelque peu à désirer (sous la forme qu'ils avaient fin novembre, en tous cas...).


Sacrée Soirée

Puis, en soirée, nous nous sommes réunis au café Extérieur Nuit, là où Béa et Pierre-Henri se sont rencontrés, nous ont-ils confiés. Tout le groupe y était, avec tous les stagiaires Belges de Namur.
En ce lundi soir, nous occupions le gros de l'espace et nous étions si bruyants, que nous faisions fuir la clientèle. N'empêche, le tenancier en a eu pour son argent. Pierre, puis, Bertrand, Philippe... et même Jean-Marc ont visiblement atteint une espèce de niveau supérieur (comme dans SEGA). Free game!
Pierre a dragué une jeune fille dans les toilettes (j'ai tout filmé sur Hi-8 [séquences QuickTime disponibles un jour peut-être]). Les autres se sont mis à faire des batailles de sous-verre. Un vrai film des Charlots.

Ensuite, les plus sages sont allés se coucher, tandis que les autres (votre humble serviteur inclus) avons déménagé le party au Monde à l'envers, rue Lelièvre. Philippe s'est payé un cul sec au Cointreau. Les autres l'ont imité. On a joué au pinball (je suis arrivé dernier, sans doute parce que j'étais le seul de la bande à être resté sobre).
Et j'ai encore filmé Pierre à l'urinoir. Prise de vue par le dessous, je vous prie (et nulle trace du wack)!
Le tout s'est terminé dans la rue, vers 3h, par une heureuse rencontre. Des types, bourrés comme des Irlandais à la Saint-Patrick, essayaient de jouer au basketball avec des sacs de poubelle à l'autre bout de la rue. Quand ils ont vu Pierre se coucher sur les pavés, ils se sont mis à crier: «Il est mort!» «Un mort!» Et ils se sont précipités sur lui, comme des demi-défensifs sur un quart-arrière.


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