Jeudi, 28 septembre 2000
Dur de t'aimer

Trudeau est mort aujourd'hui. Truquoi? Trudeau. C'est un ancien premier ministre du Canada. Quand tu comprendras ce que ça fait dans la vie, un premier ministre, je t'expliquerai c'est qui ce monsieur. En attendant, passons aux choses vraiment importantes. Hier, on est retourné voir la Dr Lisanne.

Xavier est venu avec nous. La médecin voulait le rencontrer pour lui poser toutes sortes de questions comme, par exemple, s'il voudra couper ton cordon ombilical ou encore s'il a peur du sang. Car, il faut bien le dire, c'est un peu dégueu une naissance. Ne t'en fais pas, ça n'a rien à voir avec toi. Tous les êtres humains naissent dans le sang. La doc a aussi offert à ton grand frère d'écouter ton coeur battre avec son espèce de sonar. J'ai beau avoir entendu ton coeur une demi-douzaine de fois, ça m'émeut toujours de la même façon! Une émotion paradoxale, car si nos oreilles entendent quelqu'un, nos yeux ne voient encore personne pour l'instant.

Maman en a aussi profité pour se peser. Elle est aussi lourde que moi. Enfin, elle et toi êtes aussi lourds que moi. Comparez la photo ci-contre avec celle de notre dernière visite. Maman, coquette, se trouve évidemment trop grosse. Faudra que je lui rappelle, tiens, que ce n'est pas le poids d'une personne, mais de deux.

Puis, en soirée, ta mère (et toi aussi, donc) et moi sommes allés entendre chanter ce monsieur. Son nom? Jean Leloup. On t'en avait déjà parlé, je crois. Eh bien le voilà.

Tu as aimé le show, selon ta mère, puisque tu as bougé pas mal. Pour notre part, nous ne sommes sortis perplexes du Spectrum après le spectacle. Leloup nous a déroutés puisqu'il a complètement transformé les mélodies de ses chansons de telle sorte que plusieurs étaient méconnaissables. Xavier voulait venir au spectacle, car Leloup est son idole. Mais il se serait ennuyé puisqu'il n'aurait pas reconnu les chansons, reprises sur des airs plus jazz ou plus blues que d'habitude. Pour certaines, c'était réussi, mais pour la plupart, ce l'était beaucoup moins.

Toute la journée, aujourd'hui, j'avais en tête une chanson de Leloup, Décadanse, qui se termine par cette complainte : Dur de t'aimer Puis --étrange coïncidence--, j'ai reçu ce soir une lettre d'une lectrice qui faisait écho à la complainte de Leloup. Elle m'écrit à propos de son père à elle. Sa lettre raconte, entre autres, qu'à sa naissance, «ma mère trippait, lui moins.» Ses parents se sont séparés, puis, avec les années, son père a disparu. Elle ne l'a connu qu'en photos. «Des fois, j'aimerais ça le rencontrer, voir de quoi il a l'air». Mais elle dit qu'elle ne lui en veut pas: «Au bout du compte, j'aime mieux un père absent qu'un père qui m'aurait fait constamment sentir que je n'étais pas la bienvenue.» Je peux t'avouer une chose, petit bébé? Tu n'es pas né(e) que je trouve déjà dur de t'aimer.