dimanche, 19 novembre 1995
Vers Namur
Où notre stagiaire se prend pour Achille Talon à Bruxelles
et pour Bacchus à Namur




Jean-Marc nous avait parlé avec tant de bien des «puces» que nous n'avons pas résisté et l'avons tous accompagné, Place du Jeu de balle, le long de la rue Blaes, au typique marché aux puces bruxellois, non sans avoir brunché dans un petit resto de la rue des Renards.


Nous avons tous flâné une petite demi-heure parmi le fourbi qui, dans sa forme, n'était pas bien différent des marchés aux puces québécois (qui sont tenus le long des autoroutes), mais qui pourtant, dans le fond, au niveau de la marchandise offerte, était d'un exotisme radical: képis soviétiques, antiquités bien plus antiques que tout ce qu'on peut trouver au Québec, tableaux de prix, cartes postales du début du siècle, etc.
À un moment, je me suis souvenu de cet album d'Achille Talon (Le trésor de Virgule, je crois) qui commence, justement, dans un marché aux puces. Notre gros héros achète, de Vincent Poursan, un minuscule vase qui va l'entraîner dans un mælstrøm d'aventures toutes aussi rocambolesques les unes que les autres. Le cuistre Lefuneste est évidemment du voyage.

Mais nous ne pouvions guère nous attarder au marché, et nous sommes retournés au CHAB, point de rendez-vous où nous avons attendu que le groupe soit complet afin d'aller prendre, tous ensemble, le train pour Namur, capitale de la Wallonie et ancien chef-lieu du département français de Sambre-et-Meuse (vieille histoire qui s'est terminée à Waterloo).

En attendant, Bruno et moi avons joué une partie de billard dans la salle commune de l'auberge. Tout près, deux jeunes filles assises à une table, lunettes fumées sur le nez, discutaient en espagnol. Pierre Côté (Pedro Lado) enclenche aussitôt l'opération charme. Il sort sa caméra vidéo et se met à filmer les demoiselles, histoire de démarrer la conversation. Mais une fois passée la fascination pour la Hi-8 à écran à cristaux liquides, la conversation bogue...
Ma partie terminée, bien heureux d'avoir une occasion de dérouiller mon espagnol, j'aide Pierre en traduisant ses questions aux deux hispanophones et en traduisant pour lui ce qu'elles lui répondent. Mais j'embarque dans la conversation et, après un temps, ne traduis plus rien en français.
Les deux filles, vêtues freako-granole mais fumant comme des semi-remorques, viennent de Buenos Aires et parlent un espagnol bien particulier, teinté d'italianismes. Elles travaillent dans une pharmacie à grande surface pour payer leurs études à l'université, mais en avaient plein le dos, et ont décidé de se payer une virée de quelques mois en Europe, virée qu'elles entamaient justement par Bruxelles. On a parlé de la guerre des Falklands, de voyage, de Mafalda, de la dictature en Argentine, du référendum.
Et je ne leur ai même pas demandé leur adresse électronique...


Nous sommes arrivés à Namur en fin d'après-midi. Fabien Mangin nous a racompagnés de la gare à l'auberge de jeunesse Félicien Rops. Située en face de la Meuse, elle était mille fois plus sympa que le SHACK de Bruxelles.


Puis, nous avions rendez-vous, rue des Brasseurs, aux locaux de l'organisme régional de promotion économique, «NEW» (Namur-Europe-Wallonie). Alors que nous arrivons, son directeur Luc Arnould nous apprend que la veille, une délégation wallone composée de cinq personne a justement appareillé pour le Québec pour étudier, devinez quoi, la situation des inforoutes... À leur programme, une visite à Longueuil, ville avec laquelle Namur est jumelée.
M. Arnould a poursuivi en nous expliquant que la Province de Namur, avec ses 22% de chômage officiel (moyenne belge: 14%), comptait énormément sur les nouvelles technologies de l'information pour se tirer du bourbier économique dans lequel elle se trouve depuis la fermeture de charbonnages, c'est-à-dire depuis plus de 10 ans.

Justement, j'interroge M. Arnould à ce sujet. La plupart des capitales comme Washington, Ottawa et, dans une moindre mesure, Québec, ont vu apparaître, ces dernières années, un secteur tout à fait nouveau d'activité relié aux inforoutes. Plusieurs nouvelles entreprises ont ainsi vu le jour dans la ceinture de Washington. On appelle cette grappe d'entreprises le «NetPlex» et il semble que son essor soit dû à la consommation effrenée de nouvelles technologies de la communication dont font preuve les administrations gouvernementales. Observe-t-on un phénomène semblable, mais à moindre échelle, autour de Namur?
«Non, a répondu simplement le directeur chez NEW. Si nous pouvions dénombrer six ou sept entreprises pareilles dans la région, ce serait beau.» La seule société à travailler en high tech est Siemens, qui a installé un centre de R&D dans le parc industriel de Namur depuis la fin des années 60.


Un freenet à Namur?


Nous avions parmi nous le représentant d'une autre de ces quelques entreprises high tech locales: Robin Stock, de la Société wallone de télématique (Sowatel) et expert ès inforoutes auprès de l'Organisation des Nations unies sur le commerce et le développement (-CNUCED-UNCTAD), à Genève. Le président, Jean-Pierre Gilson, n'a pas pu venir nous rencontrer, il était au Québec!

Sowatel, en fait, se résume à MM. Stock et Gilson. Habitant tous deux à Namur, ils se sont rencontrés sur Internet, et ont décidé de s'unir pour développer un nouveau concept supporté par l'UNCTAD. Sowatel fut fondé par Jean-Pierre Gilson. Il s'agit d'une compagnie qui, sur le principe du «NetPlex» américain décrit plus haut, vit des services qu'elle rend auprès du Parlement de Wallonie, ou Conseil régional Wallon. Sowatel est le premier serveur Internet namurois, consulté quotiennement pour ses données sur la région Wallonne et ses institutions, serveur pour le réseau des villes Sesame, membre de l'asbl NEW et partenaire de l'opération Journaliste d'un jour, avec le soutien d'Interpac nous dit Robin Stock. Pas mal pour une nano-entreprise de deux employés.

M. Arnould est revenu sur le tapis en nous décrivant un projet de «serveur urbain» dans la région namuroise. Ce serveur urbain ressemble énormément à un freenet, ou libertel, pas très différent de celui qui est en préparation depuis plus de deux ans à Montréal. Le projet pourrait être opérationnel d'ici la fin de 1996, indique M. Arnould. «Les pouvoirs publics, la Ville de Namur et l'Europe, sont prêts à financer l'accès à Internet pour les citoyens pendant un certain nombre d'années. Notre serveur "citoyens" est d'ailleurs presque prêt.»
Si ce projet décolle, cela ferait du Serveur urbain de Namur le réseau télématique communautaire francophone le plus grand du monde (après celui de Montréal, si celui-ci voit le jour...).
«Namur a été l'une des premières villes à être câblées au pays, indique M. Arnould pour expliquer que la capitale wallone est un choix "naturel" pour tester de nouvelles technologies. C'est dans la mentalité des Namurois, je pense. Nous ne sommes pas une ville. Nous sommes un grand village. Tout le monde aime savoir ce qui se passe chez le voisin.»

À bien y penser, le Chicoutimi belge n'est pas Charleroi, mais Namur.

Les catacombes de Bacchus

Après ces exposés dominicaux, Béatrice et son mari, Pierre-Henri, nous ont fait faire, à Mylène, Stéphane et moi, un tour privé de la Citadelle de Namur à partir de laquelle nous avions une vue splendide sur la ville illuminée.



Jean Grafé oublie, l'espace d'une soirée, qu'il est économiste de formation, et nous fait partager son patrimoine oenologique

Puis, Jean Grafé nous recevait dans les caves d'élevage de Grafé Lecocq, la firme de négociants-éleveurs en vin fondée en 1879 par son arrière-grand-père! Fournisseurs brevetés de la Cour de Belgique et de Son Altesse Royale le Grand Duc du Luxembourg, Grafé Lecocq ont installé leur cave d'élevage dans les tunnels d'un vieux tramway creusé sous la Citadelle. Des centaines de fûts de chêne sont alignés le long des murs courbe de ces galeries où l'humidité et la température sont constantes à 90% et 11 degrés respectivement.


C'est dans ce lieu magique que Jean, juché sur les barriques, pipette à la main, nous a fait déguster quatre rouges, tout en nous faisant partager ses connaissances de technicien en oenologie, connaissances qui font partie intégrante de son héritage. Qui a dit que les gens qui s'intéressaient aux nouvelles technologies étaient déconnectés du réel et incapables de goûter les plaisirs de la vie?
Pour ma part, j'ai tripé! Ça sentait le bois, la pierre, l'humidité. Le point culminant du stage, à mon (mes) sens!




Puis, nos hôtes namurois (Jean, Béatrice) et
Danielle nous amenèrent sur les lieux d'un «repas rustique». Et quel lieu, encore une fois!
Après s'être stationnés près de la Place Saint-Aubain, on nous amena dans une rue étroite qui longe la cathédrale de Namur et vient effleurer son transept gauche. Justement là, Jean sortit de ses poches un trousseau de vieilles clefs et s'affaira à ouvrir un soupirail menant sous la cathédrale!
Dans les catacombes, qui s'étendent sous la cathédrale et bien au-delà, la maison Grafé Lecocq a son caveau. Pas moins de 800 000 bouteilles y sont entreposées!

Dans une pièce, qui avait tout l'air d'être une ancienne cuisine, Jean, Béa et Danielle avaient servi des pains, des fromages, des charcuteries et des salades. Et on a bavardé, en bouffant, en buvant, en riant, dans le caveau à vin des Grafé Lecocq, sous la cathédrale de Namur! Second summum du stage!

Après ces découvertes, nous sommes tous sagement allés nous coucher à l'auberge, où j'ai dormi sous une lucarne. Comme il y a cinq nuits, je pouvais voir les étoiles, mais cette fois, j'étais au chaud.



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©1996 Jean-Hugues Roy (hugo@reporters.net)