Jeudi, 7 septembre 2000
Effort d'imagination
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Il y a quelques jours, ta mère et moi avons travaillé sur notre Plan de naissance. Ce plan est en fait un texte que nous remettrons au personnel de l'hôpital lorsque viendra le temps pour toi de naître. Nous avons décoré le texte d'icônes des nouveaux Pokémon qui devraient faire leur apparition dans l'imaginaire collectif des jeunes nord-américains (comme ton grand frère) à peu près en même temps que tu feras, toi, apparition dans nos vies. Dans notre plan de naissance, nous indiquons ce que nous souhaitons pour ta mère et pour toi durant notre séjour à l'hôpital: péridurale ou pas, qui coupera le cordon ombilical, etc. Et puis ça se termine par un chapitre qui nous a glacé le sang en l'écrivant: quoi faire avec ton corps si tu mourrais. (Ça continue... Plus bas... Poursuivez la lecture) |
Tu n'es même pas encore né qu'il faut envisager ta mort. Mourir à 80 ou 81 ans, comme devrait le faire l'ancien Premier ministre du Canada Pierre Elliot Trudeau, c'est dans l'ordre des choses. Il a eu une bonne vie, durant laquelle il a donné l'impression d'être invincible. Mais, comme dirait Jean Leloup (l'idole de ton grand frère):
Sont tous égaux, l'homme est mortel.» |
Cependant, les humains ne sont pas les seuls à être mortels. Je me suis promené dans l'est après le travail aujourd'hui. Je voulais aller voir la mort de près. La mort de deux usines. Symboles de la mort du Montréal industriel. Cette usine, où je me suis photographié, vient sans doute à peine d'être fermée puisqu'on n'y trouve aucun graffiti. C'est un espace magnifique. Un lieu qui est mort pour bien des gens, mais qui, d'une certaine façon, reprend vie autrement. Des jeunes viendront y jouer. Des tagueurs, taguer. |
Puis je suis allé tout près, revoir un autre lieu majestueux, que j'ai souvent visité et que j'aimais beaucoup. Il est en train de disparaître le long de la rue Notre-Dame. Bientôt, il n'existera plus que dans mes souvenirs. C'est ça qui reste après la mort. Un souvenir, c'est-à-dire un certain travail de reconstitution, une certaine part d'imaginaire aussi. Et c'est drôle, mais c'est exactement ce que je suis en train de faire avec toi. Tu n'es pas né(e). Tu n'es pas formellement en vie. Tu n'es pas mort non plus. Je dois donc pour l'instant essayer de te constituer en images dans ma tête, je dois t'imaginer. Ça demande un certain effort. Mais imaginer ta mort, ça, c'est trop d'effort pour moi. |
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