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Jean-Claude Guédon
Gutenberg contemporain



par Eric Bernatchez

S'ériger contre la commercialisation du Net ne fait que donner bonne conscience. L'Inforoute est un terme inadéquat. Je refuse qu'on utilise les codes de Netscape!


Jean-Claude Guédon à son bureau
Cherchez l'erreur sur le bureau de Jean-Claude Guédon...
Réponse : il n'y a aucun ordinateur!

Z-mag : Avec l'électronique, n'importe quel auteur peut être publié. Nous commençons déjà à le constater dans certains forums où l'on peut lire, entre autres, de la poésie d'un goût douteux. Quel effet l'édition électronique aura-t-elle sur la littérature?
Jean-Claude Guédon : L'imprimé s'est doté d'une respectabilité sociale en tant qu'objet. On a tendance à croire davantage ce qui est imprimé. Et il y a une sorte de promotion sociale par le simple fait d'être imprimé, car c'est coûteux. Comme il s'agit d'une ressource rare, ceux qui arrivent à être publiés témoignent soit de ressources intellectuelles, institutionnelles ou financières.
Dans le cas des journaux, il y a des gens qui ont un statut mondialement reconnu comme fournisseurs d'information. On les appelle « les journalistes ». Ils sont un filtre social. Ils valident l'information, et on connaît leurs règles d'éthique, leurs droits et devoirs. La pratique journalistique est balisée.
Dans le cas d'Internet, la situation change complètement. Regardez ce qui s'est passé récemment au Chiapas. Le sous-commandant Marcos a simplement fait circuler sur Internet des récits d'atrocités que tout le monde a repris. Or, c'est de la rumeur. Le réseau Internet produit de la rumeur. Il n'y a personne pour vérifier ce qui y circule.
C'est exactement comme ce qui m'est arrivé à Paris la semaine dernière. J'étais dans le quartier Saint-Michel lors de l'attentat dans le RER. J'ai entendu toutes sortes de rumeurs pour expliquer ce qui s'était passé : suicide, incendie, etc. Rumeurs reprises par les journaux.
Au fond, ce qu'on fait dans les journaux, ce n'est que domestiquer la rumeur, la valider.
Sur Internet, on n'a pas encore trouvé de moyens efficaces de faire au moins la même chose. À mon avis, il faudra trouver des instances de validation de l'information sur Internet. Je ne sais pas quoi exactement, mais on peut imaginer des comités de lecteurs qui attribueraient des labels aux informations qui circulent afin d'attester de leur authenticité. Bien sûr, il ne pourrait s'agir d'une forme de contrôle. Les informations non « approuvées » pourraient circuler quand même.

Z-mag : On a souvent annoncé l'avènement de l'édition électronique pour demain. Est-il réaliste de croire que nous lirons un jour nos journaux en version électronique?

Jean-Claude Guédon entouré par ses livres
Jean-Claude Guédon travaille complètement entouré de papier.

Jean-Claude Guédon : Je crois que l'électronique ne remplacera pas nécessairement le papier. Il y a une règle classique en technologie qui veut qu'une nouvelle technologie ne remplace jamais l'ancienne. Elle la déplace et lui fait jouer de nouveaux rôles, plus limités ou marginaux.
Lorsqu'on voit du texte sur un écran, notre première impression c'est : « L'électronique a remplacé l'imprimé ». Ce n'est pas vrai du tout. Il n'a fait que nous forcer à repenser les rôles essentiels de l'imprimé.
Pour certaines formes de lecture, l'imprimé est une technologie fabuleuse : portable et légère, la feuille de papier nous permet de lire tout en annotant les marges et en soulignant. Je crois que cela ne disparaîtra pas de sitôt.
En revanche, l'électronique servira surtout à faire des lectures rapides, en diagonale, des survols. Le lecteur n'imprimera que les extraits qu'il souhaite lire au complet. Nous avons d'ailleurs conçu Surfaces de façon à favoriser ce mode de lecture. Dans Surfaces, chaque article est un fichier distinct. Nous avons même des versions WordPerfect pour DOS et MS-Word pour Mac de façon à ce que le lecteur, en imprimant le texte, obtienne une mise en page comparable à celle qu'il aurait avec une revue scientifique imprimée. En quelque sorte, nous déléguons au lecteur l'impression de Surfaces. Et cela nous fait épargner environ 30 % des frais habituels de production d'une revue scientifique!

Z-mag : Le papier est portable, soit. Mais n'oublions pas que certains best-sellers pèsent des tonnes. Avec le développement des écrans à cristaux liquides, n'aurons-nous pas inévitablement, un jour, des « feuilles » électroniques?
Jean-Claude Guédon : C'est ce dont nous rêvons tous. William Gibson, l'auteur du mot « cyberspace », a déjà répondu fort intelligemment à cette question. On lui demandait : « Que sera l'avenir du livre? » et il avait répliqué : « L'avenir du livre, c'est très simple. Il s'agira d'un livre très très beau, un objet d'art magnifique. Et ce livre ne contiendra qu'une seule feuille sur laquelle nous ferons défiler toutes les pages l'une après l'autre. »


Cet article est en ligne depuis le 14 septembre 1995

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