vendredi, 17 novembre 1995
Louvain-la-Neuve /
Bruxelles

Où le stagiaire s'enthousiasme pour un projet révolutionnaire,
puis se paie le dernier Almodóvar
(sabian que el mejor sitio web que habla de él es en Belgica?)




Le lever, à 7h, fut ardu, particulièrement pour Pierre, mon compagnon de chambre, odorante loque humaine se remettant difficilement de sa sortie de la veille. En fait, il est rentré à peine quelques heures plus tôt!


Il fallait faire vite, ce matin: on nous attendait à l'Université catholique de Louvain (UCL) à 9h30. En quatrième vitesse, nous avons déjeuné de gaufres à la gare centrale de Bruxelles.
Sur le quai, en attendant notre train, il y eut un petit quiproquo. Nous attendions Philippe, qui loge chez des amis, en banlieue de la capitale, mais il ne venait pas. Fabien, le chargé de projets de l'AQWBJ à Bruxelles, est monté dans le hall de la gare pour voir s'il était là. Mais entretemps, le train est arrivé, et nous avons dû embarquer... sans Fabien, qui n'est pas redescendu à temps... Nous avons essayé de retarder le départ en faisant signe au contrôleur, mais il nous a signifié, d'un vif coup de sifflet, de dégager les portes. Vous apprendrez, cher ami, que les trains belges partent à l'heure, quoi qu'il arrive!


L'architecture à laquelle Louvain-la-Neuve doit son nom.


Nous serions arrivés à l'heure à l'UCL si nous ne nous étions pas perdus dans le labyrinthe de béton qu'est Louvain-la-Neuve. Même notre guide Jean-Marc ne s'y retrouvait plus. Nous nous sommes achetés quelques pâtisseries pour nous calmer. Sur la porte de la boutique où nous sommes allés se trouvait un petit auto-collant du projet PROTON. Piloté, par Belgacom, PROTON s'articule autour d'une carte à puce, un porte-monnaie électronique, quoi. Il est en ce moment en phase de projet pilote à Louvain-la-Neuve et dans sa ville-soeur flamande, Leuven (ainsi qu'à Wavre), et touche près de 20 000 personnes. Mais comme l'admettait Edouard van Heule, de Belgacom, le projet ne marche pas fort: «Notre sport national, c'est de faire du noir», disait-il. Les commerçants, qui aiment cacher au fisc une certaine proportion de leurs ventes, voient d'un mauvais oeil cette carte qui apparaît comme un moyen de contrôle idéal pour le ministère du Revenu. «Des commerçants refusent, même, la carte pour de petits montants», confiait M. Van Heule lorsqu'il nous a reçu dans les bureaux de Belgacom.
Puis, nous avons rencontré Damien Delhase, venu à notre rescousse.

Première présentation, celle du professeur d'ingénierie Auguste Laloux, président de l'Institut de pédagogie universitaire et des multimédias (IPUM), organisme qui travaille à développer des instruments de pédagogie utilisant le multimédia et les nouvelles technologies.


Non, ce n'est pas un Schtroumpf perdu dans un club vidéo, mais Auguste Laloux avec une cassette vidéo numérique de modèle récent dans les mains.

Il nous a fait un cours magistral (dans les deux sens du terme) sur la compression du signal vidéo numérique, domaine d'avenir, s'il en est, dans le développement futur des inforoutes. La norme MPEG-2 n'a plus de secrets pour lui. Il participera d'ailleurs dès l'an prochain à un projet de diffusion numérique avec des chaînes privées de télévision. Sur ce plan (et nous serons en mesure de le vérifier à nouveau la semaine prochaine à la RTBF avec M. Eddy Goray), les Européens sont à mille lieues en avance sur les Nord-Américains. La télé numérique est déjà une réalité, alors que de notre côté de l'Atlantique, on s'obstine encore sur les standards. Note to ABC/CBS/NBC/CBC: Lisez Negroponte, et déniaisez-vous, nom de Dieu!
Il nous a également parlé de l'IPUM, un service unique dans les universités européennes. Il consiste à former les profs de l'UCL à intégrer les nouvelles technologies dans leur enseignement. Mais par nouvelles technologies, on entend encore l'audiovisuel, et même, les acétates (transparents)!
Internet? «On ne s'en sert que pour le courrier électronique entre professeurs, explique M. Laloux. Et encore. J'ai quelques collègues en génie qui ont un terminal sur leur bureau. Mais dans les départements d'études littéraires, par exemple, le e-mail n'est pas une priorité.»
Même dans les universités, donc, le Net semble avoir peine à pénétrer la société belge. Quand on pense qu'ici, c'est un prof de littérature, Jean-Claude Guédon, créateur de la première revue savante électronique au Québec (Surfaces, une revue de littérature comparée par-dessus le marché), qui co-organise le programme de la grande conférence INET 96, qui aura lieu du 25 au 28 juin 96, à Montréal. Pas besoin d'être technicien pour naviguer. Le Net, ce n'est pas une affaire d'ordinateurs. Welcome to the Next Level.

Laboratoire social

Nous avons par la suite assisté à une présentation d'un projet de Centres locaux de services multimédias (CLTM) avec quatre professeurs: Thierry Desmedt, chargé de cours au département des communications, Guy Vanden Bemden, ingénieur, Romy Balcan, administrateur, et Benoît Macq, chef d'orchestre, avec M. Desmedt, du projet.


Dans l'ordre habituel:
Thierry Desmedt, Romy Balcan, Guy Vanden Bemden, Benoît Macq.

Le projet est ambitieux, mais fort intéressant, puisqu'il implique autant des techniciens et des ingénieurs que des sociologues et des travailleurs sociaux.

Disposant d'une enveloppe de 177 millions de francs (8,4 millions de dollars), il consiste en gros à installer, dans une dizaine d'endroits publics de Charleroi (la ville-test par excellence en Belgique, comme Chicoutimi au Québec), des terminaux d'accès à Internet, et de voir ce qui va se passer. Un laboratoire télématico-social, en somme.
«On veut créer des lieux d'interaction sociale, explique M. Desmedt. Il paraît que les nouvelles technologies isolent les gens. On veut montrer que c'est le contraire. Les gens, surtout à Charleroi, sont de plus en plus exclus des circuits économiques et sociaux du fait du chômage, du décrochage. Il faut leur proposer des lieux physiques et virtuels et susciter des rencontres. Il y a des économistes impliqués avec nous pour voir quels nouveaux circuits économiques peuvent émerger de la communication en réseau.» Le premier des 10 Centres a ouvert ses portes en décembre. Un second devrait voir le jour début 1996.


Il ne s'agit pas d'implanter 10 cybercafés à Charleroi, précise M. Vanden Bemden. Les terminaux seront installés dans des endroits où une certaine animation a déjà lieu, comme au Centre public d'aide sociale de Charleroi, qui accueille le premier Centre, par exemple. «On demande à chaque organisme qui héberge un Centre de dégager un employé pour agir à titre d'animateur», explique M. Vanden Bemden. Un peu plus tard dans la matinée, ce dernier m'a aussi raconté, lorsque j'ai remarqué que son PowerBook contenait une copie du jeu de simulation
SimCity 2000, que ce jeu sera utilisé dans le cadre de l'expérience, «pour apprendre aux gens comment gérer un budget, par exemple».

Les professeurs sont conscients que le succès de leur projet n'est pas assuré. «Nous avons même du feedback de la part de travailleurs sociaux à Charleroi qui nous disent: "Attention! Ça ne va pas être évident!"»
Mes collègues québécois semblaient en fait persuadés de l'échec des CLTM, invoquant le fait qu'on proposait une infrastructure sans contenus. Pour ma part, je pense justement que cette absence de contenus (ce sera aux participants au projet de les créer) est plutôt un gage de succès. L'expérience, en tous cas, vaut la peine d'être vécue. Les habitants de Charleroi n'y perdront rien.
La mise en contexte sociale, économique, historique et politique des professeurs m'apparaît enfin comme un autre gage de succès. «On vit actuellement une situation analogue à l'Angleterre des années 1760-1780», expliqua M. Desmedt, traçant un parallèle entre la révolution industrielle et la révolution informatique. «À l'époque, il y avait de grands surplus de main-d'oeuvre et personne ne savait que l'ère industrielle allait se pointer et éventuellement donner du travail à tout le monde. Aujourd'hui, la désindustrialisation met des millions de personnes au chômage, et c'est particulièrement dramatique dans une région comme celle de Charleroi. Mais il y a une économie du savoir, une économie de la connaissance qui est en train de prendre forme. Il faut aider les gens à s'y préparer.»
Negroponte (encore lui) n'aurait pas pu mieux dire.

[Béatrice m'envoie ce commentaire: «En fait, Charleroi n'est pas vraiment une ville-test. Les universitaires n'ont pas vraiment le souci "altruiste" de sortir cette ville du marasme économique dans lequel elle piétine depuis la fermeture des charbonnages mais ils sont attirés comme des mouches par le fait que Charleroi ait été reconnue comme ville sinistrée, comme tu l'as noté, et que c' est assorti de subsides colossaux de la Commission Européenne dans le cadre du projet Objectif 1 (mais qui ne financent que 50% des projets) et que tout le monde, universités comprises, s'est rué sur cette région parce qu'il y avait de l'argent à prendre. Je crois que je ne suis pas trop négative en disant que cela me semble être la seule motivation de la présence des universités dans cette région. Sans Objectif 1, personne n'aurait jamais été à Charleroi!»]


Métro, boulot, télécino


Après un petit cocktail offert par un des vice-recteurs de l'UCL, nous sommes rentrés à Bruxelles. Je rushais.
J'avais un boulot à envoyer à Montréal avant le week-end et nous étions déjà vendredi après-midi. Je suis donc retourné droit vers le salon Mediaplanet dès notre arrivée à la gare centrale, le boulot en question exigeant que je ramasse des infos sur le Net. Entre 15h et 20h, j'ai surfé, puis, j'ai écrit une dizaine de pages, que j'ai faxées à Montréal à 20h30 (14h30 heure du Québec). Un mégamerci à Frédéric Leroy qui m'a laissé utiliser gratuitement le fax de Mediaplanet! Je n'ose imaginer combien Belgacom m'aurait chargé pour envoyer 12 pages par fax à Montréal...
À cause de cela, j'ai raté la réception à la Délégation générale du Québec à 17h. Dommage. J'aurais bien aimé voir à quoi ressemble une
ambassade virtuelle.

Quoi faire un vendredi soir au Heysel? Se taper un cinoche au Kinépolis, voyons!
Depuis que Philippe m'avait parlé de ce gigantesque gigaplex de 29 salles, m'expliquant qu'ils avaient même prévu, si le cinéma ne rapportait pas assez, faire un parking intérieur avec le building, je voulais bêta-tester Kinépolis.
J'y suis allé, ce soir-là, voir La flor de mi secreto, le dernier film de Pedro Almodóvar, pas encore sorti en Amérique. Le billet coûte 220 francs (plus de 10$ [il en coûte 8,50$ au Québec]), mais ça en valait la peine.
Ma salle (#16) était située au second étage. Effectivement, ils pourraient encore faire un parking avec l'immeuble: on monte aux étages le long d'une rampe hélicoïdale destinée en fait aux automobiles!
L'Almodóvar, en version originale espagnole, sous-titrée bilingue français/néerlandais (c'est bien pour apprendre des gros mots comme Verdomme!) n'était pas mal du tout. On n'y retrouvait pas l'univers fantaisiste auquel le réalisateur madrilène nous avait habitués, mais c'était néanmoins tendre et touchant.
Je me serais par contre épargné les 25 publicités (je vous jure, je les ai comptées) de chocolat, de chars, de bière, name it, et les 4 interminable bandes annonce qui ont précédé la projection. Ces préliminaires sont si longues, qu'on a aménagé une petite pause-pipi pour permettre aux gens d'aller s'acheter d'autre pop corn avant que le vrai film ne commence.

À la sortie, passé minuit, il neigeait doucement sur Bruxelles. Je suis rentré avec le dernier métro, puis j'ai rejoint Stéphane au Magasin 4, où j'ai dansé jusqu'à très (très) tard!
Mon compagnon de chambre, Pierre, était rentré se coucher! Les vendredis et samedis soirs, Pierre préfère dormir. Ses gros soirs de sortie, j'ai pu le constater empiriquement, sont les lundi et les mercredi. ;-)


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©1996 Jean-Hugues Roy (hugo@reporters.net)