Moissonner les médecins

Assez heureux d’un travail de visualisation de données qui vient d’être publié dans l’édition printemps-été 2017 du magazine Nouveau projet sur la féminisation de la profession médicale. Je n’ai pas réalisé la visualisation elle-même, bien sûr. Mais j’ai fourni les données qui ont servi.

Il s’agit de données intéressantes pour trois raisons.

Raison 1 – Moissonnage avancé avec selenium

Il s’agit tout d’abord de données originales, disponibles sur aucun portail statistique, car je les ai moissonnées moi-même sur le site du Collège des médecins. En fait, j’étais curieux de télécharger le bottin complet des membres du Collège. C’est donc ce que j’ai fait au moyen d’un script (démarche décrite sur ce répertoire Github). En gros, ce script génère tous les numéros de pratique possible des médecins entre 1930 et 2016 (plus de 85 000 numéros possibles) et effectue une recherche sur le bottin du collège avec chacun à l’aide de selenium, une bibliothèque python qui permet de simuler les interactions que ferait un humain lorsqu’il se connecte à un site web.

Raison 2 – Vérification de données en apparence aberrantes

Les données que j’ai colligées permettent de faire un portrait unique de l’évolution de la profession médicale depuis 1930. Le graphique ci-dessous nous montre le nombre de nouveaux médecins ayant obtenu leur permis de pratique à chaque année.

On remarque un creux étrange vers 1990. À quoi est due cette aberration dans les données? S’agit-il d’un problème avec mon moissonnage? Est-ce une erreur dans la base de données du Collège des médecins?

J’ai vérifié et il appert qu’au début des années 1980, le gouvernement du Parti québécois a voulu freiner l’explosion des coûts de santé en limitant les admissions dans les quatre facultés de médecine. Il l’a fait passer d’environ 600-650 par année vers 1982 à environ 500-550 vers 1986. Yves Bérubé, président du Conseil du trésor de l’époque, a expliqué la chose en ces termes :

«La croissance du nombre de médecins était huit fois supérieure à la croissance de la population. […] Les coûts de la pratique médicale vont en explosant parce qu’on observe qu’on ne peut pas contrôler la demande. La demande est infiniment élastique pour les besoins en soins médicaux et c’est, finalement, par l’offre qu’on peut arriver à limiter la croissance explosive des coûts. Donc, sur la base d’une considération qui n’a rien à voir avec le développement de l’éducation ou le développement de la santé au Québec, mais purement sur la base de considérations budgétaires, donc, de croissance explosive des coûts à la Régie de l’assurance-maladie, le gouvernement a décidé qu’il devait réduire l’augmentation du nombre de médecins au Québec. […] Il nous fut donc demandé de restreindre sur trois ans l’équivalent d’une centaine de médecins formés annuellement par rapport à un nombre qui était, si je ne m’abuse, de l’ordre d’à peu près 600 ou 650, je ne m’en souviens plus trop trop. Il s’agissait donc de réduire d’à peu près 100 à 108 sur trois ans. Nous le ferons, en fait, sur quatre ans.»

Le résultat de cette mesure s’est fait sentir à partir de 1989 par une diminution radicale du nombre de nouveaux membres admis au Collège des médecins. Le creux dans les données n’est donc pas le résultat d’une erreur, mais reflète bel et bien une diminution réelle dans le nombre d’admissions au Collège des médecins ces années-là.

Ce n’est qu’à partir de la décennie 2010 qu’on a retrouvé le nombre de nouveaux médecins, au Québec, qu’on avait connu au cours des décennies 1970 et 1980. 

Raison 3 – Illustration de la féminisation des médecins

La première chose que j’étais curieux de vérifier est l’évolution de la féminisation de la profession médicale. Dans le graphique suivant, je représente les mêmes données que dans le premier graphique, mais en discriminant les hommes (en orange) des femmes (en bleu). La féminisation des médecins apparaît clairement d’année en année. Dès le début des années 1990, il y a une majorité de femmes chez les nouveaux médecins.Chercheuses et chercheurs peuvent procéder à leurs propres analyses en téléchargeant mes données ici.

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