L'Électron libre

1er zap - Juin 1995

L'hyper-entrevue

Jacques Parizeau


Thème #4


Q. : Vous parler de Sirius, d'UBI, de Cogeco. Mais il y a un projet qui, pour les gens qui sont déjà branchés, est extrêmement important, et c'est celui de libertel. Il y en a un à Montréal, à Québec, bon. Quand est-ce que le FAI va débloquer de l'argent pour ça? Parce que pour le moment, votre site Web ne sera pas disponible aux gens qui sont branchés via UBI ou Sirius...

R. : "Est-ce qu'on lui donne une réponse?"

[Il rit, en se tournant vers Marie-Josée Gagnon]


Q. : Allez-y!

R. : La décision ne peut pas venir en trois ou quatre jours. Mais il est évident que j'ai été saisi de cela et - comment dire - je vois tout l'intérêt de la chose. Il est trop tôt pour que je vous donne une réponse articulée. On n'a pas fini d'examiner ça avec les gens qui ont présenté les projets. Mais disons que ça va débouler très vite.

Vous avez pu constater que je ne laisse pas les choses traîner de ce temps-là.


Q. : Ça va débloquer très vite? Quand?

R. : Il y aura des décisions de prises très vite, pour le moment, je ne vais pas plus loin que ça!

[Le steward demande, deux bouteilles à la main: "Vin rouge, vin blanc, avec ça, M. Parizeau?"]

Un peu de vin rouge avec ça, s'il vous plaît.

Je ne dis pas oui, je ne dis pas non. Je dis qu'une décision va venir rapidement.


Q. : Rapidement, c'est la semaine prochaine, ou plus vite?

R. : C'est: rapidement après qu'on m'aura fait rapport!


Q. : Bon.

R. : Je ne peux pas être plus précis que ça. Mais si le passé très récent est garant de l'avenir immédiat, vous n'allez pas attendre bien longtemps!

[Tout son poitrail secoue de rigolade]


Q. : Je parlais au sous-ministre Arpin, ce matin, et je lui demandais si le projet de libertel allait bientôt être accepté et il ne savait même pas ce qu'était un libertel!

MJGagnon : Il connaît le freenet, mais il ne connaît pas le libertel.


Q. : Freenet, libertel, j'ai passé de l'un à l'autre.

R. : J'ai hésité un instant quand vous m'avez parlé de libertel. Je connaissais ça sous le nom de freenet, et justement, j'avais demandé qu'est-ce que c'est en français, et on n'avait pas pu me le dire, alors merci!


Q. : C'est le nom officiel du projet, maintenant.

R. : Ces affaires-là évoluent tellement, tellement vite! Les projets, les propositions, ça rentre de tout côté!

Mais je voudrais revenir aux écoles. On a dit l'implantation de ce qu'il faut comme équipement, et le software. Là, pour les écoles, euh...

[Il place quelques raisins dans sa bouche]

J'ai besoin qu'on me conseille. Il ne s'agit pas de donner accès à des gens qui, comment dire, s'initient eux-même. Il s'agit de se servir de ça pour l'enseignement. Alors là, je veux qu'il y ait un certain nombre de gens qui réfléchissent à ça et qui me fassent des propositions. Il faut que ça vienne du ministère de l'Éducation, mais surtout, il faut que ça vienne des États généraux de l'éducation. Ça, quand on dit que c'est une nouvelle commission Parent, c'est vrai que c'est une nouvelle commission Parent. Et un des éléments les plus importants qu'ils ont entre les mains, c'est ça!


Q. : Mais le gouvernement du Nouveau-Brunswick met dès maintenant des ordinateurs dans toutes ses écoles. Pourquoi, ici, attendre les États généraux?

R. : Je ne veux pas recommencer l'échec partiel de 1982. J'étais ministre des Finances à ce moment-là; j'en ai financé, des achats d'ordinateurs dans les écoles. Sauf qu'on savait pas quoi faire avec. Alors on a acheté des bidules qui ne servaient pas aux besoins. On s'est engagé dans des voies sans issue, jusqu'à ce qu'un moment donné, en désespoir de cause, on dise aux écoles: "Faites donc ce que vous voulez!"

Il y en a qui ont fait des expériences avec des ordinateurs nouveaux, qui n'avaient pas d'avenir, qui sont tombés, n'importe quoi!


Q. : Seriez-vous prêt alors à faire un programme qui dirait aux écoles: "Vous avez un projet? Appelez-nous! On va vous donner les ordinateurs!"

R. : Ça peut être ça. Je veux qu'on me... je commence à pied d'Ïuvre, là. Je veux que des gens me disent: "Voici ce qu'on vous propose", que des gens dans l'Éducation, qui connaissent ça: "Voici comment on peut se servir de ça à des fins d'enseignement. Voici ce qu'il faut pour que des enfants à un certain âge, apprennent ce langage-là et se sentent à l'aise de ça." Et quatrième réponse que je veux avoir: Qu'on me dise comment on peut, grâce à cela, empêcher les enfants de trouver l'école plate. Ha ha ha!

.Pensez que beaucoup d'enfants qui se sont amusés follement chez eux avec ça arrivent à l'école et disent: "Ya pas ça! C'est plate!"


Q. : Je vais vous montrer tantôt un livre écrit par un gars du Media Lab du MIT

[je réfère à Being Digital, excellent ouvrage de Nicholas Negroponte]

qui explique que les jeunes qui décrochent ont une autre façon de dealer avec le monde; ils sont plus street-smart, pour parler français, ils se débrouillent très bien sur la rue, mais à l'école, ça ne marche pas du tout. Et il dit que l'ordinateur, l'Internet, ces jeunes-là apprennent ça instantanément!

R. : C'est parce que je suis conscient de ça, et que je suis conscient de l'échec partiel de 82, que là, je dis simplement: "On va réfléchir quelques mois." On ne va pas perdre du temps. Vous me dites: "Au Nouveau-Brunswick, ils sont en train de faire ça." Good for them! Ça veut dire qu'ils ont réfléchi. Bon. Tant mieux. Mais ce n'est pas vrai que ce coup-ci, on va engager une vaste opération dans les écoles sans savoir où on s'en va!

J'ai pas l'intention non plus qu'on perde un temps fou à réfléchir à ça. Mais pour une fois, on va réfléchir avant de bouger. Si vous me dites: "Il y a des gens ailleurs qui ont déjà réfléchi!" Je le sais! Ha ha ha!

Mais ils ne peuvent pas réfléchir à ma place!


Q. : Il existe un réseau qui relie toutes les écoles canadiennes et qui s'appelle SchoolNet, mais il bifurque, contourne le Québec. Est-ce que vous pensez qu'il y a un besoin, pas juste pour acheter des ordinateurs, mais de lancer un réseau interécoles?

R. : Absolument!


Q. : Ça, c'est quelque chose auquel vous donneriez votre appui?

R. : Absolument. Là-dessus, il me faut... il faut qu'on aille voir ailleurs ce qui se passe. Je sais qu'au Canada anglais, ils ont fait des choses très intéressantes, allons les voir pour ne pas répéter le même cheminement. La seule raison pour laquelle je ne dis pas: "On bouge la semaine prochaine", c'est que, on peut-tu savoir où on s'en va avant!

Mais je reviens sur votre première question. Vous me demandiez: "N'êtes-vous pas un peu effaré du retard?" Je vous dis: "Je ne suis pas effaré, j'ai honte!" Ha ha ha ha!!!

C'est pas moi qui est responsable, mais j'ai honte quand même!


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Textes & photos & graphisme : Jean-Hugues Roy; mai 1995
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